Kiki in French
Kiki in French
Traduction littéraire
Karine Bouchard
Le 28 mars 2011
Traduction de l’œuvre de Roger Moore, « On A Day like Today … »,
tiré du site Web:
http://web.me.com/rogermoorepoet/RogerMoorePoet/Welcome.html
Both author and translator wish to express their pleasure in working together on this project.
L'auteur et la traductrice aimeraient exprimer le plaisir que la coopération sur ce projet leur a apporté.
Une journée comme aujourd’hui…
… et il y a des journées comme celle-ci, quand l’humeur noire s’abat sur les épaules, quand le dos nous fait mal sans que l’on sache pourquoi, quand la tête s’abaisse vers la poitrine et que l’on épie la pluie du coin de l’œil et que tout ne va pas bien dans le monde…
… hier soir, elle s’est écriée : « C’est retourner le couteau dans la plaie! »… et elle a dit ceci d’une voix forte, furieuse, tout en me blessant parce qu’elle-même était blessée et qu’elle pensait que je l’avais délibérément blessée… et elle l’a dit parce que sa chatte n’était plus sur l’ordinateur, sa chatte, sa chatte morte qu’elle avait gardée dans ses bras pendant que le vétérinaire glissait l’aiguille dans le tube fixé à la patte de la chatte, je me rappelle très bien, cette petite bouffée de vie, soufflant en rafales partout dans le corps fragile de la chatte, et la lutte s’est arrêtée tout à coup, la tête de la chatte a glissée, la langue saillante, juste un peu, de ses lèvres, de cette manière connue et affectionnée… et c’était fini… il s’était terminé si soudainement, ce combat contre le cancer commencé depuis si peu, ce combat qui soudainement prenait fin… qui prenait fin si soudainement…
… et nous nous sommes remis en question pendant tout ce temps : était-ce juste de payer mille, deux milles dollars pour des traitements de chimiothérapie alors que les chances de rémission n’étaient que de 60 p. cent, sans compter la peine supplémentaire des visites régulières chez le vétérinaire, des injections, du traitement comme tel, et la chatte si jeune, si pleine d’énergie il y a seulement quelques jours…
… et « Regardez! » a dit notre fille, lorsqu’elle était à la maison pour Noël, « Il y a une bosse dans son cou, on peut la sentir juste ici! » C’était en janvier, au début de la nouvelle année, et le jour même, elle a pris l’avion et est retournée à Toronto, et nous avons été laissés seuls avec la chatte, et il était là, le début de la fin, bien que nous ne le savions pas encore, une bosse dure, mais une toute petite bosse, bien plus petite qu’un petit pois guettant, implacable, comme un grand requin blanc, attendant tout près de la plage pour un nageur sans méfiance, tout juste sous la surface, du côté gauche de son cou quand elle nous regardait, mon côté droit lorsque je touchais la bosse, son côté gauche…
… et nous l’avons emmené chez le vétérinaire dès le lendemain et, effectivement, c’était un lymphome. Ils ont fait une prise de sang, des analyses et ils nous ont rappelé l’après-midi même… et c’était bien un lymphome, petit, mais mortel, et ils nous ont donné le pronostic : des stéroïdes, peu coûteux, pourront peut-être aider, lui donnerons 40 p. cent de probabilité de vie qui deviendra de plus en plus courte, et difficile… une vie, toutefois, c’était mieux que l’autre option, de la faire euthanasier, le jour même, et elle était radieuse et sa surface scintillante, comme la lumière du soleil sur un lac, ou les rayons du soleil reflétant à travers les cristaux dans la vitre et s’étendant sur sa fourrure…
… et puis il y avait la chimiothérapie, mais la chatte n’aimait pas se faire entasser dans sa cage, et elle aimait encore moins les visites annuelles chez le vétérinaire, avec tous ces examens, ces inspections et ces vérifications et l’introduction et le retrait de ces aiguilles luisantes, alors comment pourrait-elle endurer la chimiothérapie, sans parler de l’aimer ou de l’apprécier, la chimiothérapie en outre qui pouvait tuer tant que guérir et qui ne promettait rien… comment pouvait-elle promettre, avec ce type de cancer, on ne peut rien promettre, sauf cette longue descente vers une fin inévitable…
… est-il même possible de promettre une vie et pour combien de temps… et quelle sorte de vie… mais vivre, c’est mieux que rien, et tout le mois de janvier les stéroïdes ont fait leur chemin et la chatte est devenue reluisante et a pris du poids, nous ne voyions plus la bosse, et à la fête de saint Thomas d’Aquin elle était revenue et nous avons compté les jours : le 31 janvier… le 4 février, la fête de notre fille : et la bosse dense et manifeste… le 14 février, la Saint-Valentin, et dire, dire qu’en toute bonne foi et par amour, trois ans plus tôt, nous avions emmené cette chatte chez nous, l’avions sauvée de la S.P.A. où elle s’étiolait, abandonnée dans une cage, une chatte errante, presque sauvage, trouvée dans la rue et qui s’est fait traiter et nourrir on ne sait comment au cours de son enfance et est-ce que c’est à ce moment que les semences de la maladie se sont jetées? Qui sait?
… ou ces semences ont-elles été plantées plus tard, lorsqu’elle s’est baladée dans le jardin et qu’elle a bu et mangé des terres environnantes, des terres contaminées, des terres mortelles, avec leurs écoulements et leurs engrais chimiques, leurs herbicides et leurs pièges à fourmis anti fourmis et leurs poisons anti pissenlits, et que sommes-nous en train de nous faire à nous-mêmes et notre chatte est-elle un canari dans une mine de charbon, condamnée à nous prévenir du sort qui nous attend, un empoisonnement lent de l'organisme et ensuite ces croissances cancéreuses, suivit de l’accélération rapide vers la mort…
… et qui, qui glissera cette aiguille libératrice dans nos veines? Qui nous prendra dans ses bras en nous consolant pendant l’exécution de cette dernière action? Ou est-ce qu’on permettra à la maladie de ravager nos corps remplis de produits chimiques pour empêcher son emprise alors que nous dérapons, jour après jour, d’une pente sur laquelle nous nous verrons marcher plus lentement au début, puis nous nous verrons incapables de franchir la porte pour sortir dans le jardin, et nous serons ensuite rivés à la table ou à la chaise devant la télé ou l’ordinateur puis nous serons obligés de garder le lit, de donner à quelqu’un d’autre la charge de s’occuper de notre hygiène et de nous envelopper dans des couches pour vieillards alors que notre volonté s’éloignera doucement, que nous commencerons à oublier qui nous sommes et ce que nous faisons et ce que nous avons fait et puis un jour, nous tournerons notre visage vers le mur et nous demanderons au ciel d’en finir au plus vite…
… et est-ce que ce sera bientôt fini? … le premier mars et je rédige une histoire au sujet de mon enfance et j’en fais la lecture à un souper pour une organisation locale, et la chatte a franchi un événement déterminant, la fête de Saint-David, mais l’effort est évident, nous le sentons, nous observons chaque mouvement de la chatte qui monte une colline abrupte un jour, en haletant et sifflant, parce que la bosse dans sa gorge commence à rendre sa respiration difficile et que le conduit d’air se bloque peu à peu…
… nous la garderons, nous disons, jusqu’à ce qu’elle arrête de pouvoir se laver et se nourrir… et elle continue de manger, jour après jour, mais elle est nourrie à la main et ma femme s’agenouille et lui donne des miettes de sa nourriture préférée, et sa fourrure est un peu moins lustrée et de plus en plus ébouriffée et elle ne saute plus sur le lit la nuit, et elle ne s’allonge plus sur nous, une masse mobile, ronronnant comme un moteur diesel se réchauffant dans le hangar un matin glacial d’hiver, et tiendra-t-elle le coup jusqu’à la fête de la Saint-Patrick?
… mais chaque jour est atrocement douloureux, et chaque heure de chaque jour nous fait mal à chacun d’une manière différente à mesure que la veille vigilante de la chatte continue et que le moment de prendre une décision s’approche… et est-ce qu’aujourd’hui sera le jour nous demandons nous… et avons-nous besoin d’autres médicaments… et aura-t-elle jamais besoin d’une autre boîte de nourriture? Et nous augmentons la dose un tout petit peu et le chat semble prendre du mieux, mais le déclin reprend son cours et nous comptons les heures, en plus des jours, jusqu’à ce que, soudainement, un matin, ma femme éclate en sanglots et me supplie d’appeler le vétérinaire parce qu’elle en peut plus et la chatte, la toute petite chatte, la chatte de neuf livres est devenue un fardeau énorme, un boulet pour ma femme, qu’elle doit traîner, son poids lourd comme celui d’un albatros, le battement de ces ailes mourantes au poids inerte entraînant ma femme avec elles, plus bas, encore plus bas, et donc j’appelle le vétérinaire et je fixe ce dernier rendez-vous…
… ce jour même, à trois heures de l’après-midi… mais c’est comme si la chatte savait et elle ne se laisse pas trouver… elle se cache bien… et elle ne partira pas doucement… elle n’entrera pas non plus gentiment dans la cage à chat, et elle a un regain d’énergie, une énergie surprenante… un second souffle, une volonté de vivre renouvelée… trouver d’où, dieu seul le sait… et elle résiste jusqu’au bout et nous nous battons avec elle et nous l’enfonçons dans sa cage, nous la poussons dans sa cage, nous transportons ensuite sa cage dans la voiture et nous nous préparons pour ce dernier voyage ensemble, une dernière fois, nous traversons la porte, descendons la pente, conduisant très lentement, tournons à gauche sur la rue principale en bas de la pente… et oui, je conduis lentement… le soleil brille… et c’est à la clinique que nous allons…
… et le vétérinaire nous attends et nous lui donnons la chatte dans la petite salle de consultation où nous sommes déjà allés avec d’autres animaux, mais aucun si cher, aucun si précieux que cette petite boule de poile grise, ce petit trésor de chat, cette compagne, cette camarade de jeu et cette compère, cette enfant comme substitue aux enfants qui sont partis de la maison, cette petite-fille comme substitue aux petits-enfants que nous n’aurons jamais et que nous ne verrons jamais, ce membre presque humain de notre famille, et ce ne fut que trois petites années et quelques jours et le soleil brille et le jardin était de toute beauté lorsque nous sommes partis, mais il était aussi probablement dangereux, et nous restons assis en silence pendant que la petite patte est rasée, le tube est fixé, dans une patte d’abord, et puis il y a un énorme combat de neuf livres, à ma gauche, dans le coin bleu, pesant 210 lb, l’adversaire, le vétérinaire… les applaudissements retentissent… dans le coin rouge, à ma droite, la championne incontestée, la chatte… pesant un peu moins de 8,5 lb, parce qu’elle est maintenant usée, et souffrante et elle n’a pas pu bien manger depuis quelques jours… et quelle lutte elle a menée, mais le tube est finalement placé, dans l’autre patte, les poisons qui mettrons finalement fin à sa vie sont préparés… et son congé nous guette…
… le vétérinaire nous explique, encore une fois, le processus, et ma femme tient la chatte, le petit paquet gris, si minuscule, aux yeux brillants et remplis de feu, et elle la flatte et lui parle et la chatte est tendue sous ses mains, mais assez calme, et elle se relaxe doucement et « Allez! » dit l’ange noir… « C’est le temps! Faites-le maintenant! » Et l’aiguille est insérée dans le tube, et la chatte cède doucement, se détend peu à peu, abandonne lentement sa lutte, et ses yeux se ternissent et s’éteignent et perdent leur éclat et sa petite langue rose se glisse entre ses lèvres et avec un dernier remous elle s’endort, elle se livre à cette noirceur irrévocable – ou est-ce la lumière? – qui nous attend tous.
… J’ai des larmes aux yeux et le nez qui coule, donc je sors de la salle et dès que je sors l’assistant du vétérinaire me demande si je veux payer maintenant ou revenir demain… et que voulons-nous faire du corps? L’enterrer ou le faire incinérer? Une incinération unique et une petite urne pour la petite masse de cendres qui sera tout ce qui nous reste… et voulons-nous rapporter les cendres à la maison et les enterrer nous-mêmes, ou voulons-nous un enterrement collectif, notre chatte jetée parmi d’autres cadavres dans une incinération de masse et dans un tombeau commun… mais lorsque l’esprit nous laisse, ce qui arrive au corps brûlé n’a plus d’importance… et c’était la même chose pour ma mère et mon père, et ce sera la même chose pour moi… et pour la chatte, dont les yeux sans vie ne voient plus, dont les poumons ne se remplissent plus d’air pour l’expulser avec un joyeux Miaou en guise d’accueil lorsqu’elle nous voit ou par la force d’expulsion, un tout petit Miou lorsqu’elle saute sur le lit ou lorsqu’elle saute par terre au petit matin…
… mais elle est encore là, elle est encore présente dans la maison, elle fait partie de nous, même si elle est partie… et elle s’assoit à ses endroits préférés et attrape ses mouches préférées à ses fenêtres préférées et nous voyons à l’occasion une ombre là ou une ombre ne devrait pas être, une ombre éthérée, une ombre qui créer de la lumière et qui égaye notre journée… et la vie n’est plus la même sans elle et il y a d’autres chats… mais les autres chats ne sont pas cette chatte… et les autres chats vont jouer et nous plaire d'autres manières et donnerons l’illusion d’être pareils mais ils ne sont pas pareils et bien que la nuit tous les chats sont gris, cette chatte était spéciale, la crème des chats, notre chatte… notre chatte si spéciale…